La crise actuelle des surdoses au Canada est la pire crise de santé publique que ce pays ait connue depuis la grippe espagnole en 1918. Depuis 2016, plus de 14 000 personnes sont décédées au Canada d’une surdose accidentelle. La majorité de ces décès sont dus à des drogues toxiques mélangées au fentanyl (un puissant opioïde synthétique) et à ses analogues; et malheureusement, la plupart des vies perdues étaient des personnes dans la fleur de l’âge, entre 20 et 49 ans. Cette tragédie témoigne de l’échec catastrophique de nos politiques actuelles sur les drogues. Si nous ne vainquons pas la résistance de la société à la modernisation de ces politiques, cette terrible trajectoire se poursuivra pour les individus, les familles et les communautés des prochaines générations. Le temps est venu d’envisager une nouvelle voie pour l’avenir.
Les politiques modernes sur les drogues se fondent sur la prohibition : l’interdiction d’un acte ou d’un comportement par la loi, emportant des sanctions pénales, y compris des amendes et des peines d’emprisonnement, pour les individus qui y contreviennent. Les lois canadiennes interdisent la possession, la distribution et la production non autorisées de drogues. Elles ont été conçues au début des années 1920 comme un moyen de contrôle social sur les communautés racisées de Vancouver et sont nées des émeutes raciales de 1907 alimentées par un sentiment anti-asiatique.1 Bien que les lois sur les drogues aient quelque peu changé aujourd’hui, elles continuent de priver les populations marginalisées de leurs droits, et nuisent à leur santé et à leur bien-être.
« Nous devons reconnaître qu’il n’est ni déviant ni pathologique pour l’être humain de vouloir altérer sa conscience avec des substances psychoactives. On le fait depuis la préhistoire… et cela peut se faire dans un contexte religieux, social ou dans le cadre de la gestion des symptômes. »
Dr Perry Kendall, administrateur en chef de la santé publique, Colombie-Britannique
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Conséquences de notre système actuel
1. Crime organisé et marchés illégaux et non réglementés
L’interdiction d’accès aux drogues encourage la création de marchés illégaux lucratifs et non réglementés, contrôlés par le crime organisé. Ces marchés sont extrêmement lucratifs, ce qui les incite économiquement à se développer et à se diversifier malgré le risque de sanctions pénales. Les organisations criminelles en sont venues à jouer un rôle important dans la production, l’importation et la distribution de drogues au Canada.
2. Drogues toxiques
Puisqu’aucune règle formelle ne régit la production et la distribution des drogues, il n’y a pas de contrôle de qualité pour garantir la sécurité des substances vendues dans la rue. Elles sont mélangées à des substances puissantes comme le fentanyl et le carfentanil, qui ont tué plus de 14 000 personnes au Canada depuis 2016. En outre, la « Loi d’airain de la prohibition » démontre qu’une répression policière accrue entraîne l’apparition de drogues illégales plus puissantes. Le risque d’arrestation incite fortement les trafiquants de drogue à faire le commerce de drogues plus fortes, en plus petites quantités, qui peuvent être importées et dissimulées plus facilement.
3. Criminalisation
La police soutient que l’application de la loi vise à arrêter la production et la vente à haut niveau de substances illégales, mais en réalité des statistiques révèlent que les jeunes et les personnes pauvres et marginalisées sont les plus vulnérables à l’arrestation.2 En 2016, par exemple, on a recensé au Canada 95 417 arrestations liées aux drogues. De celles-ci, 73 pour cent concernaient la possession de drogues – ce qui démontre qu’une grande partie des ressources policières et juridiques ciblent des infractions de niveau inférieur.3 Dans les prisons du Canada, on observe des nombres disproportionnés de personnes de couleur, d’Autochtones et de femmes. Les personnes autochtones représentent 26,4 pour cent de la population des prisons fédérales, alors qu’elles constituent seulement 4,3 pour cent de la population canadienne.
Les prix gonflés des drogues sur ce marché illégal incitent des individus à d’autres comportements à risque élevé, comme le travail du sexe et les crimes contre la propriété, ce qui augmente la probabilité d’emprisonnement. Les effets déstabilisants d’un séjour en prison exposent ces personnes à un risque accru d’itinérance, d’isolement social et de pauvreté.
4. Violence communautaire
Puisqu’aucune norme et aucun règlement ne régit le fonctionnement du marché illégal, la violence est souvent l’outil qui sert à résoudre des conflits, à exiger le paiement de dettes et à élargir les parts de marché. Les acteurs de cette économie non réglementée ne peuvent pas résoudre les litiges de manière normale, comme par les tribunaux, puisque l’activité qu’ils exercent est illégale. En dépit de l’idée reçue selon laquelle le renforcement de l’application de la loi sur les drogues réduit la violence, les faits suggèrent fortement que « la perturbation des marchés de la drogue peut paradoxalement accroître la violence »4.
5. Ressources gaspillées
En consacrant des millions de dollars de revenus fiscaux à une réponse de justice pénale qui privilégie l’application des lois sur les drogues, on détourne également des fonds qui pourraient être investis dans des domaines plus importants comme le logement et les soins de santé, ou à des programmes plus efficaces s’attaquant aux facteurs sociaux qui alimentent la consommation de substances. Mais, au contraire, l’argent continue d’être affecté à des mesures de justice pénale qui se sont avérées inefficaces pour mettre fin à la consommation de substances et pour prévenir le taux catastrophique de pertes de vies que l’on observe actuellement en Amérique du Nord.
Au Canada, on estime qu’aussi peu que 10 pour cent des drogues illégales destinées au pays sont interceptées par les forces de l’ordre. Des drogues sont même disponibles dans les prisons canadiennes, ce qui constitue un désaveu cinglant de notre approche de justice pénale actuelle, qui nous incite à envisager de nouvelles voies. Le système est défaillant et nous pouvons travailler collectivement à le changer.
Notre argumentaire pour la réforme
Le fondement des politiques canadiennes sur les drogues a été établi il y a plus de 100 ans, au début des années 1900. Il est grand temps de moderniser nos politiques en matière de drogue pour qu’elles reflètent les faits et les réalités de notre époque. De plus en plus, on observe des responsables de la santé publique et des politicien-nes de haut niveau se joindre aux militant-es pour réclamer une nouvelle approche aux politiques sur les drogues. Ces intervenant-es envisagent comme nous une approche fondée sur les principes de la santé publique et sur les droits humains.
Cela implique de commencer à considérer la consommation de drogues comme une question de santé publique et individuelle et de traiter de manière plus humaine les personnes qui en consomment. La réalité est que les Canadien-nes consomment de nombreux types de drogues pour diverses raisons et qu’il est donc impératif de réduire les risques individuels associés à cette consommation. La consommation de drogues est souvent un symptôme de douleur, de traumatisme, d’exclusion sociale, d’itinérance et d’autres facteurs que la société doit prendre en compte si nous souhaitons sincèrement aider les communautés dans le besoin.
Si nous reconnaissons que la source de la crise actuelle des surdoses est un approvisionnement en drogues empoisonnées, alors nous avons l’obligation de créer un système qui offre des alternatives au marché non réglementé et extrêmement toxique des drogues illégales, par la légalisation de toutes les drogues. Comme nous le faisons pour de nombreuses autres activités de notre société qui sont potentiellement risquées, la réglementation légale peut fournir un cadre de règles et de procédures raisonnables qui garantissent la puissance et la qualité des drogues que les gens consomment, dans le but de soutenir la santé publique et la sécurité de tou-te-s les citoyen-nes. Elle permettra de réduire les préjudices de l’approvisionnement en drogues toxiques ainsi que la violence et la criminalité au sein du marché illégal.
La création d’un système dans lequel les drogues sont légalement disponibles et la possession de drogues pour un usage personnel n’est pas criminalisée serait l’occasion de rediriger les fonds consacrés à la police et au système de justice pénale vers des programmes visant à éduquer les consommateur(-trice)s sur les risques de l’usage de drogues et à décourager les jeunes de commencer à en consommer. Cela pourrait également nous permettre de rendre largement disponibles les services complets de traitement de la toxicomanie qui manquent si cruellement à l’échelle du pays.
La crise actuelle des surdoses est la plus regrettable illustration de l’incapacité de nos politiques actuelles à protéger les Canadien-nes. De fait, notre approche actuelle cause d’importants préjudices et gaspille des ressources publiques limitées. Des approches alternatives émergent et tous les efforts doivent être faits pour soutenir des propositions de changement nouvelles, novatrices et audacieuses. Nous pouvons – et nous devons – faire mieux
[1] Boyd, Susan. Busted. Vancouver. Fernwood Publishing, 2017.
[2] Boyd, Susan. More Harm Than Good. Fernwood Publishing, 2016.
[3] Boyd, Susan. Drug Use, Arrests, Policing, and Imprisonment in Canada and BC. 2015-2016
[4] Werb, Dan. Effect of Drug Law Enforcement on Drug Market Violence: a Systematic Review. 2011.