Guide de terminologie critique

Notez que l’expression « réglementation légale » ne figure pas dans le présent guide. Pour une discussion approfondie de ce sujet, consultez l’élément « Réglementation légale ».

Centres de compassion

Les centres de compassion (ou « clubs d’acheteurs ») sont des « associations autonomes de personnes réunies volontairement pour répondre à leurs aspirations et à leurs besoins économiques, sociaux et culturels communs par le biais d’une entreprise détenue conjointement et gérée démocratiquement ».1 Ces centres sont apparus dans les années 1980 et 1990 en réponse à l’épidémie de sida; des personnes vivant avec le VIH/sida s’y procuraient du cannabis, qui était alors illégal, afin de gérer leur douleur. Aujourd’hui, ils sont encore des espaces sûrs où les membres peuvent se procurer une ou plusieurs substances, notamment de l’héroïne, tout en nouant des liens avec des pair-es aux idées semblables. Les modèles de centres de compassion varient : certains fonctionnent comme de petites initiatives clandestines, d’autres comme des initiatives plus ouvertes. Quoi qu’il en soit, ils font leur apparition lorsque l’inaction du gouvernement face à une crise – VIH/sida ou empoisonnements par des drogues – limite l’accès à des mesures de qui sauvent des vies.2

Les centres de compassion diffèrent des modèles de distribution du marché et entretiennent les principes suivants : adhésion volontaire et ouverte; contrôle démocratique par les membres; participation économique des membres; autonomie et indépendance; éducation, formation et information; coopération entre coopératives; et souci de la communauté.1 En regroupant les commandes, les membres peuvent bénéficier de remises sur le volume, d’une protection des prix, d’installations partagées d’entreposage et de distribution, et d’autres économies d’échelle qui réduisent leurs coûts d’achat globaux.2 Cela se produit régulièrement dans la chaîne d’approvisionnement des soins de santé (p. ex., l’assurance maladie) et dans d’autres secteurs (p. ex., logement, épicerie).

Le Drug User Liberation Front (DULF) de Vancouver a présenté un exemple de modèle de centre de compassion. Le 31 août 2021, des membres ont présenté au gouvernement fédéral une demande d’exemption en vertu de l’article 56(1) pour le DULF Fulfillment Centre and Compassion Club Model. Si elle est accordée, cette exemption permettra aux membres d’acheter légalement de la cocaïne, de l’héroïne et de la méthamphétamine de qualité pharmaceutique auprès d’un producteur dûment autorisé et réglementé, de stocker les substances en toute sécurité, de mettre en œuvre des mesures de contrôle de la qualité, d’emballer les substances de manière fiable et de les distribuer à une liste de membres sélectionnés.3

A person outside an office building holding three white boxes
Eris Nyx, Drug User Liberation Front (DULF), with community-led safe supply

Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDS)

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDS) est la loi fédérale canadienne sur le contrôle des drogues. Initialement adoptée en 1996 pour remplacer la Loi sur les stupéfiants et certaines parties de la Loi sur les aliments et drogues, elle sert également de loi de mise en vigueur de plusieurs traités internationaux de lutte contre la drogue. La LRCDS a établi huit « annexes » de substances, qui sont des catégories de drogues et de dispositifs de production, d’après leurs dangers perçus pour la sécurité personnelle et publique, et deux classes de « précurseurs » (composés utilisés pour produire des substances contrôlées). Les substances désignées à l’« Annexe 1 » sont considérées comme les plus dangereuses. Les infractions prévues par la LRCDS comprennent la possession, le cumul d’ordonnances médicales, le trafic, l’importation, l’exportation et la production de substances figurant aux annexes. Bien que la sanction de ces infractions dépende de l’annexe qui s’applique à la drogue en question, la LRCDS prévoit des peines d’emprisonnement obligatoires; de plus, les actes criminels les plus graves liés aux drogues sont passibles d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité.4

Notamment, la LRCDS stipule également : « Le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’une ou l’autre des annexes I à IV, VI et IX pour y ajouter ou en supprimer tout ou partie d’un article dont l’adjonction ou la suppression lui paraît nécessaire dans l’intérêt public. » Plusieurs modifications ont été apportées à la Loi au fil du temps, qui ont toutes également nécessité la modification de la législation adjacente. Par exemple, en 2018, le Projet de loi C-45 : Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois a été adopté au Parlement. Cela a entraîné l’abrogation de multiples articles de la LRCDS ainsi que la modification d’articles du Code criminel, du Règlement sur les stupéfiants, du Règlement sur le chanvre industriel, de la Loi sur la santé des non-fumeurs, de la Loi sur le casier judiciaire et de la Loi sur l’identification des criminels, entre autres.5

Criminalisation

Le terme « criminalisation » désigne les sanctions pénales directes et indirectes pour toute activité interdite, en lien avec la drogue, dans la LRCDS. Bien que certaines formes de criminalisation soient évidentes (p. ex., les condamnations au criminel pour possession simple ou trafic de drogue), d’autres le sont moins. Par exemple, de nombreuses circonstances associées à la pauvreté sont implicitement criminalisées ou rendent les personnes plus vulnérables à la criminalisation, qu’elles aient ou non enfreint la loi. Cette dynamique manifeste par des « rafles de rue », au cours desquelles la police confisque et jette régulièrement les affaires de personnes non logées, ce qui expose ensuite cette population à des fouilles à la recherche de drogues illégales. Même si ces personnes ne reçoivent pas de peines formelles pour possession, leurs drogues peuvent être saisies et elles peuvent alors être incitées à commettre des crimes d’acquisition (p. ex., des vols) ou à s’engager dans d’autres activités illégales pour se procurer d’autres drogues. Dans ce contexte, le terme « criminalisation » fait donc référence à la nature cyclique et aux renforcements mutuels de la pauvreté, de la surveillance et des infractions liées à la drogue, ainsi qu’à l’impact que cela a sur la psyché d’une personne.

Décriminalisation

Le terme « décriminalisation » fait référence à une série de politiques et de pratiques qui remplacent les sanctions criminelles par des peines d’autre nature, pour certaines activités. Il n’existe pas de cadre réglementaire unique pour la décriminalisation; et les interprétations de ce en quoi consiste la décriminalisation, de la manière dont les activités anciennement criminalisées devraient être traitées par la police, la médecine et l’État, et de la mesure dans laquelle ces nouveaux traitements devraient être appliqués sur une base discrétionnaire ou codifiés dans la loi, varient considérablement. En ce qui concerne les substances contrôlées, la décriminalisation s’étend sur un continuum de catégories législatives allant de la criminalisation (situation la plus contraignante) à la décriminalisation, jusqu’à la légalisation et à la réglementation (situation la plus libérale).

La décriminalisation de facto implique que les sanctions criminelles pour les activités liées aux substances contrôlées sont appliquées de manière informelle. Autrement dit, la possession et la distribution de substances contrôlées demeurent illégales, mais la police peut recevoir l’ordre de ne pas appliquer ces lois. En Colombie-Britannique, il existe des divergences entre les rapports de la police et ceux des personnes qui consomment des drogues, quant à la mesure dans laquelle la possession simple a effectivement été décriminalisée. Plus précisément, une analyse de 2020 des arrestations provinciales liées à la drogue remontant à 2014 a révélé que les accusations de possession de drogue ne sont pas cohérentes d’une région à l’autre.6 En outre, même si une personne n’est pas arrêtée ou accusée de possession de drogue, les personnes consommatrices de drogues qui sont visibles (p. ex., les personnes sans logement, en particulier si elles sont racisées et/ou travailleuses du sexe) peuvent quand même se voir confisquer leur drogue par la police. Cela témoigne des avantages de la décriminalisation de jure [c.-à-d. par la loi] qui se traduit par des politiques et une législation limitant les pouvoirs discrétionnaires de la police.

Il existe de nombreuses voies possibles vers la décriminalisation. À l’échelon municipal, tout membre d’un conseil municipal, d’un conseil de santé municipal ou le/la médecin-hygiéniste local-e peut demander une exemption en vertu de l’article 56(1) de la LRCDS s’appliquant à une catégorie de personnes ou à une région géographique spécifique.7 Au palier provincial, une option en Colombie-Britannique consiste à modifier la Police Act (Loi sur la police) provinciale afin de permettre au ministre de la Sécurité publique et du Solliciteur général d’établir des priorités provinciales générales en ce qui concerne les personnes qui consomment des drogues. Cela pourrait inclure la déclaration d’une approche de santé publique et de réduction des méfaits en tant que mandat provincial et la mise en place de mécanismes permettant à la police de diriger les personnes vers des services sociaux et de santé. La possession d’une petite quantité de drogue pour usage personnel passerait du statut d’acte criminel (avec possibilité de peine d’emprisonnement) à celui d’infraction administrative. La deuxième option, plus formelle, consiste à élaborer un nouveau règlement dans le cadre de la Police Act afin d’inclure une disposition empêchant, en vertu de l’article 4(1) de la LRCDS, tout membre d’un service de police de la C.-B. de consacrer des ressources à l’application des dispositions criminelles sur la possession simple. La médecin-hygiéniste de la Colombie-Britannique, la Dre Bonnie Henry, a recommandé à la province d’examiner de toute urgence l’une de ces deux options en 2019.8 Enfin, comme dans le cas des municipalités, les acteurs gouvernementaux, y compris le médecin-hygiéniste en chef, le premier ministre, des ministres provinciaux (de la Santé, de la Santé mentale et des Dépendances, de la Justice et du Procureur général, de la Sécurité publique, ou le solliciteur général) peuvent également demander une exemption en vertu de l’article 56(1) de la LRCDS afin de l’appliquer à une catégorie de personnes ou à une région géographique particulière si cela est jugé dans l’intérêt public.

EN SAVOIR PLUS : RÉUSSIR LA DÉCRIMINALISATION : une voie vers des politiques sur les drogues basées sur les droits de la personne 

Au palier fédéral, le ministre de la Santé dispose d’un large pouvoir pour exempter des personnes ou des régions des dispositions de la LRCDS (p. ex., l’interdiction criminelle de la possession simple) sans avoir à consulter le Parlement. Nous avons vu cela se produire dans le cas de certains sites de consommation supervisée (SCS) et à des fins de recherche. Notamment, les provinces et les municipalités peuvent également demander au gouvernement fédéral des exemptions sur leur territoire.7

RCMP police cruiser; Maple Ridge

La décriminalisation comporte des avantages et des inconvénients. Les données disponibles démontrent qu’elle est un cadre efficace pour encourager l’utilisation des services sociaux et de santé par les personnes qui consomment des drogues et pour réduire la criminalité et les troubles sociaux, les déchets liés à la drogue, la consommation de drogues en public et les accusations générales liées à la drogue.9 Toutefois, ces données masquent les limites de la décriminalisation. Premièrement, la décriminalisation ne modifie pas fondamentalement la volatilité du marché de la drogue. Cela signifie que les personnes qui consomment des drogues ne sont pas moins susceptibles de rencontrer des substances contaminées et ne sont pas plus protégées contre les surdoses et/ou les décès accidentels que dans un contexte où la consommation de drogues est criminalisée. Ensuite, l’application discrétionnaire de la loi a un impact disproportionné sur les personnes pauvres et racisées. Les personnes qui ont un logement stable et qui peuvent consommer discrètement ne sont pas sous surveillance et leurs drogues sont donc rarement confisquées. En outre, les mécanismes de déjudiciarisation introduits en lieu et place des sanctions pénales ne sont pas toujours appropriés. Le modèle portugais de décriminalisation, introduit en 2000 et souvent cité comme un exemple de réforme réussie, n’aborde pas valablement la violence, la stigmatisation, le déplacement et la discrimination que vivent les personnes qui consomment des drogues. De plus, comme la police demeure tenue de fouiller et de détenir les personnes soupçonnées de posséder des drogues, de nombreuses personnes prises en possession de drogues sont toujours maltraitées, mais cette fois-ci « officieusement », et/ou obligées de collaborer avec le système médical et de suivre un traitement de la toxicomanie, même contre leur gré, comme voie d’évitement à l’incarcération.10

Drogue

Toute substance chimique dont la consommation modifie des processus psychologiques et/ou physiologiques (corporels). Une drogue peut être légale à la consommation, illégale à la consommation, ou légale à la consommation seulement pour des personnes spécifiques dans des circonstances spécifiques.

Parmi les exemples de drogues dont la consommation est habituellement ou toujours légale, on trouve l’alcool, la caféine, la nicotine, les médicaments, les antidépresseurs et les antipsychotiques. Les exemples de drogues dont la consommation est habituellement ou toujours illégale incluent la cocaïne, le crack, l’héroïne et la méthamphétamine. Ces dernières drogues sont plus souvent appelées « drogues de l’abus », car elles sont considérées comme plus susceptibles de provoquer une dépendance mentale ou physique chez l’utilisateur(-trice).

La légalité ou l’illégalité d’une drogue est plus complexe que ne le pensent certaines personnes. Par exemple, il est illégal d’acheter du fentanyl dans la rue, mais les médecins peuvent légalement en prescrire à des patient-es hospitalisé-es, pour gérer la douleur. De même, il est légal pour les adultes d’acheter de l’alcool dans des établissements agréés, mais on ne peut pas en consommer dans la plupart des lieux publics. Les enfants ne peuvent jamais acheter ou consommer de l’alcool légalement. Le cannabis, quant à lui, qui était autrefois illégal pour tous et toutes est à présent légal pour les adultes, qui peuvent l’acheter auprès de dispensaires agréés. Enfin, un médicament comme le Ritalin, qui est légalement prescrit à des enfants et à des adultes pour traiter les symptômes du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH), une différence de développement neurologique diagnostiquée cliniquement, est chimiquement quasi identique à la méthamphétamine, dont la fabrication, la distribution ou l’achat sont illégaux pour tous et toutes.

Le niveau de risque ou de dangerosité d’une drogue est lié à la façon dont le public la perçoit. Les lois et politiques qui régissent l’accès à une drogue déterminent également le degré de sécurité de sa consommation. Il est important de se rappeler que l’accès à une drogue (ainsi que les sanctions pour sa consommation illégale) dépend de plusieurs facteurs, dont la plupart ne sont pas liés à la structure chimique de la drogue.

Consommation de drogue(s)

Introduction dans le corps de toute substance chimique qui modifie l’état mental et/ou physique d’une personne. Les formes les plus courantes de la consommation de drogues sont l’ingestion, l’aspiration (sniffer), l’inhalation, le « fumage » et l’injection.

Dépendance à une drogue

État de besoin mental et/ou physique d’une ou de plusieurs drogues. En général, la dépendance se développe avec le temps et est précédée d’une augmentation de la tolérance physique à la (ou aux) drogue(s). L’absence de la drogue peut induire des symptômes physiques de sevrage allant de légers à très sévères, et peut également s’accompagner d’un malaise mental et/ou émotionnel. Les caractéristiques de consommation de drogue(s), y compris la durée et la fréquence de l’utilisation, peuvent laisser présager une dépendance, mais ce n’est pas toujours le cas. Enfin, la dépendance ne concerne pas seulement les drogues illégales : la caféine, l’alcool, le tabac et certains médicaments d’ordonnance peuvent également induire une dépendance.

Crise des drogues empoisonnées

Une expression plus appropriée pour désigner une situation que l’on appelle parfois « l’épidémie d’opioïdes » ou « la crise des surdoses d’opioïdes ». Au Canada, il n’est plus exact d’attribuer les taux de surdose et de décès accidentels aux opioïdes proprement dits, car il est pratiquement impossible de se procurer des versions non altérées de ces drogues en dehors des contextes médicalement réglementés. De plus, les personnes qui consomment des stimulants et d’autres substances non opiacées sont maintenant affectées par l’approvisionnement en drogues toxiques. Ce changement de terminologie reconnaît, comme il se doit, que les surdoses accidentelles sont principalement causées par les politiques sur les drogues, et non par les drogues à proprement parler. Plus précisément, la prohibition déstabilise le marché des drogues, et les personnes qui consomment (et vendent) des drogues ne savent pas ce qu’elles obtiennent et peuvent donc consommer davantage d’une substance, une substance différente (ou plusieurs), ou une combinaison dangereuse de substances. Le Réseau canadien d’info-traitements sida (CATIE) explique :

« Du fait de leur interdiction, les drogues sont devenues plus concentrées. En fait, l’interdiction des drogues incite à fabriquer et à vendre des produits de plus petit format et plus puissants, de manière à réduire les volumes de production et de transport et à augmenter les profits.6 C’est la raison pour laquelle le fentanyl et ses analogues, des substances beaucoup plus puissantes que l’héroïne à des doses beaucoup plus faibles, ont inondé l’approvisionnement en drogues illicites et ont été associés à l’augmentation des décès liés aux surdoses. »11

(Interactive Graph)

Vente de drogue / commerce de drogue

La vente de drogue consiste à distribuer de petites quantités de drogues illégales (ou de drogues légales, mais distribuées dans l’illégalité). La vente de drogue est une stratégie de génération de revenus utilisée par de nombreuses personnes qui consomment des drogues, en particulier celles qui déclarent en consommer quotidiennement.12 Bien que les conceptions populaires de la vente de drogue soient qu’il s’agit d’une activité prédatrice ou immorale, des recherches démontrent que : a) les personnes qui consomment des drogues et celles qui en vendent sont souvent les mêmes personnes; b) les personnes qui vendent des drogues ont tendance à avoir des relations positives avec celles à qui elles les vendent; et c) les personnes qui vendent des drogues participent régulièrement à des pratiques de soins qui réduisent les méfaits d’un approvisionnement en drogues toxiques (p. ex., avoir du naloxone, répondre à une surdose, développer des relations avec les acheteur(-euse)s).

La Drug Policy Alliance note également que les lois antidrogue aux États-Unis sont rédigées de manière si générale que les personnes prises en flagrant délit de possession de drogue pour leur usage personnel sont souvent accusées de vente de drogue, même si elles n’en font aucune vente ni distribution.13 Au Canada, bien que le système juridique ait évolué pour se concentrer sur les « vendeur(-euse)s de haut niveau » (ou « trafiquants ») en théorie, et que la « vente de drogue » ne soit pas une infraction en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDS), les vendeur(-euse)s de bas niveau demeurent ciblé-es par la police.

Trafic de drogue

L’article 2 de la LRCDS définit le « trafic » comme incluant tout acte de vente, d’administration, de don, de transfert, de transport, d’envoi ou de livraison d’une substance contrôlée – ou toute offre de faire l’une de ces choses – à moins d’être autorisé-e par un règlement, que ce soit à titre lucratif ou gratuit. L’article 6(1) de la LRCDS interdit également l’importation de substances contrôlées au Canada, tandis que l’article 7(1) en interdit la production.

En vertu de l’alinéa 5(1) de la LRCDS, « trafic » signifie, en ce qui concerne toute drogue inscrite aux Annexes I à V :

  • (a) la vente, l’administration, le don, le transfert, le transport, l’expédition et la livraison d’une telle substance; et
  • (b) la vente d’une autorisation visant l’obtention d’une telle substance.4

Les peines criminelles pour le trafic varient en fonction de facteurs tels que le lieu où l’infraction a été commise, si l’accusé-e est lié-e à une organisation criminelle, s’il/elle a fait usage de violence en commettant l’infraction, s’il/elle a déjà été condamné-e pour une infraction liée à une substance désignée, si des mineur-es sont impliqué-es, et si la poursuite traite l’infraction comme un acte criminel (plus grave) ou comme une condamnation sommaire (moins grave). Autrement dit, il existe une grande diversité parmi les personnes accusées de trafic et dans les peines qui leur sont infligées. La peine maximale encourue en cas de condamnation pour trafic ou possession en vue du trafic est l’emprisonnement à perpétuité (pour une substance de l’annexe I ou II); ou un emprisonnement de dix ans (pour une substance de l’annexe III ou V) ou de trois ans (pour une substance de l’annexe IV). Des peines minimales sont également prévues pour certaines infractions.

Il est essentiel de reconnaître que le trafic de drogue au Canada est lié au commerce mondial de drogues illégales. La demande de drogues existe, et la prohibition a créé les conditions permettant à des organisations criminelles transnationales de prendre le contrôle complet de la chaîne d’approvisionnement. Par exemple, les systèmes carcéraux surpeuplés d’Amérique latine et des Caraïbes ont été décrits comme « des centres de recrutement et des incubateurs presque parfaits pour le crime, puisque des groupes criminels organisés en sont venus à contrôler l’économie de la drogue dans les prisons et à utiliser les installations comme bases pour contrôler les opérations de trafic à l’extérieur ».14 Une perspective internationaliste est donc essentielle lorsqu’on examine comment le Canada influence le trafic et est influencé par lui. Les régions touchées par l’expansion impérialiste de l’Occident sont un terrain fertile pour des « guerres de territoire » volatiles; de surcroît, il existe de fortes incitations à maintenir le contrôle des routes de transit, avec le soutien de gouvernements corrompus et des réponses militarisées, exacerbant la violence locale.15 Au Canada, les approches prohibitionnistes de l’importation de drogues garantissent également qu’elle se fait par des moyens illicites tels que le blanchiment d’argent. Les tenant-es de la réglementation légale soulignent donc que les cadres réglementaires axés sur la justice doivent tenir compte de l’impact que cela aurait sur les communautés qui ne sont pas directement touchées par la loi fédérale canadienne, tout en considérant la déstabilisation occidentale du sud mondial comme cause et effet du trafic.

Insi
Insite, North America’s first sanctioned supervised consumption site

Réduction des méfaits

La réduction des méfaits est un mouvement de justice sociale fondé sur la conviction que les personnes qui consomment des drogues ont les mêmes droits humains que toute personne et que ceux-ci sont inaliénables.16 Les premier(-ère)s qui ont proposé cette approche se sont inspiré-es des militant-es pour les droits LGBTQIA+ pour mettre en œuvre des pratiques de soins qui protègent la vie, la liberté et l’autonomie de ceux et celles qui souffrent à cause de la prohibition. Ces pratiques incluent la distribution de fournitures (p. ex., des seringues neuves, des condoms), l’ouverture de sites de consommation supervisée, l’offre de diverses formes de soutien communautaire, l’aide mutuelle et la désobéissance civile. Par conséquent, la réduction des méfaits s’inscrit habituellement en opposition à l’État. Cependant, sa signification a évolué et certaines personnes s’inquiètent aujourd’hui d’une certaine appropriation de la réduction des méfaits par des professionnel-les de la médecine, des organismes à but non lucratif et des services sociaux dont les valeurs ne sont pas la libération de la guerre aux drogues et de ses antécédents.17 Par exemple, il arrive souvent que l’accès à des soins médicaux soit conditionnel à la volonté d’une personne de fournir une pièce d’identité et de voir ses déplacements surveillés par des employé-es. Dans notre contexte actuel, la réduction des méfaits peut donc désigner soit des programmes parrainés par l’État pour réduire les conséquences physiques de la consommation de drogues illégales, soit des pratiques de soins communautaires de proximité.

Médicalisation

Généralement parlant, la « médicalisation » fait référence aux processus sociaux, économiques et politiques par lesquels le comportement humain finit par être défini et traité dans une approche médicale. Historiquement, l’institution de la médecine avait une portée étroite et un champ d’action limité : elle ne touchait que des phénomènes très spécifiques, et l’influence des professionnel-les de la médecine sur le monde social était limitée. Au fil du temps, cependant, et en particulier depuis un siècle, ce qui était auparavant considéré comme des problématiques humaines « normales » a été de plus en plus étiqueté comme des problèmes à diagnostiquer et à résoudre par la médecine.18

La médicalisation se produit à trois niveaux. Conceptuel – le vocabulaire médical est utilisé pour « ordonner » ou définir le problème en cause. Institutionnel – des organismes du domaine médical s’impliquent dans la définition et le traitement des problèmes et les professionnel-les de la santé agissent comme des « chiens de garde » ou des « auteur-es de revendications légitimées par des institutions », qui détiennent l’exclusivité d’accès au traitement par le biais d’établissements spécialisés (hôpitaux, centres de désintoxication, centres de traitement de la toxicomanie). Interactionnel – la compréhension médicale des phénomènes façonne nos relations interpersonnelles.23 En pratique, le fait de mettre l’accent sur la nature socialement construite de la « maladie » nous permet de remettre en question des hypothèses qui sont considérées comme étant véridiques, au sujet des origines et des effets des drogues, de la consommation de drogues et des politiques en la matière. Cela nous incite également à examiner quels acteurs et quelles institutions ont l’autorité de déterminer les significations que nous attachons à un comportement considéré comme « anormal » ou « déviant », et quelles sont leurs motivations de base. En clair, nous devrions nous demander à qui profite le fait de qualifier les gens de « malades » et dans quel(s) but(s).

L’émergence des diagnostics de « troubles liés à la consommation de substances » est un exemple de la médicalisation de la consommation de drogues. Ces étiquettes sont des ajouts récents au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Fifth Edition [Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5e édition] (DSM-5); leur inclusion a nécessité un lobbying considérable de la part de psychiatres et d’autres acteurs médicaux. Le fait de faire de la consommation de substances psychoactives un élément médical présente des avantages et des inconvénients (voir « Trouble lié à la consommation de substances »), mais surtout, cela montre clairement que la politique est aussi importante que la science, sinon plus, dans la « création » de diagnostics. Il n’est pas certain que l’élargissement des catégories de maladies et de troubles conduise à des résultats plus équitables pour les personnes qui consomment des drogues. Quoi qu’il en soit, le fait que la consommation de drogues soit appelée « trouble » n’est ni politiquement neutre ni objectivement « vrai » – ceci est en négociation.

Approvisionnement sécuritaire

L’Association canadienne des personnes qui utilisent des drogues (ACPUD) définit l’approvisionnement sécuritaire (ou « approvisionnement sûr ») comme « un approvisionnement licite et réglementé de drogues ayant des propriétés susceptibles de modifier l’état psychique ou corporel et qui, traditionnellement, ne peuvent être obtenues que sur le marché illicite ».19 Il s’agit de distribuer des drogues réglementées (de qualité pharmaceutique), par des moyens légaux, et de permettre à une personne de savoir précisément ce qu’elle consomme et en quelle concentration. Comme la réduction des méfaits, le concept d’approvisionnement sûr est enraciné dans les principes des droits humains pour tous les individus, indépendamment de la manière ou de la raison pour laquelle une personne choisit de modifier ses processus cognitifs, affectifs et physiologiques. L’approvisionnement sûr n’est pas la même chose que le traitement par agonistes opioïdes (TAO) ou d’autres thérapies de substitution qui peuvent être prescrites pour remplacer la consommation de drogues.

Protester at Vancouver safe supply rally
Safe supply rally; Vancouver; 2021

Au Canada, il est difficile d’obtenir accès à un approvisionnement sécuritaire. Actuellement, le gouvernement fédéral stipule que les professionnel-les de la santé (p. ex. médecins, infirmier(-ère)s praticien-nes, pharmacien-nes) peuvent prescrire des opioïdes, des stimulants et des benzodiazépines en se fondant sur leur jugement professionnel.20 Cependant, il est courant qu’une personne qui souhaite avoir accès à un approvisionnement sécuritaire doive commencer par obtenir un diagnostic de « trouble lié la consommation de substances », ce qui établit à tort une association entre la consommation de drogues et la dépendance, en ne tenant pas compte du fait que des personnes font une consommation de drogues qui est récréative. De plus, les drogues ne sont pas toutes disponibles dans le cadre des modèles actuels (p. ex., l’obtention d’héroïne nécessite de s’inscrire à un programme hautement spécialisé); elles ne sont pas toutes dispensées sous la forme préférée de certain-es utilisateur(-trice)s (p. ex., les drogues sous forme injectable sont exclues) et la plupart des gens ne sont pas en mesure d’en emporter chez eux ou de « transporter » une quantité supérieure à une dose limitée de leur ordonnance. En outre, des décisions imprévisibles, établies par l’adoption de politiques sans consultation des consommateur(-trice)s sont également des points de tension;21 et les écarts entre l’offre et la demande sont particulièrement prononcés en région éloignée et rurale. Bien que des changements mineurs au cours de la pandémie de COVID-19 aient légèrement amélioré l’obtention d’ordonnances, la logistique pour en obtenir une est extrêmement tortueuse.

Contrôle social

Façon par laquelle la société régule l’action humaine pour maintenir le statu quo. Des mécanismes tels que les règles, les normes, les lois et les politiques s’exercent entre les personnes et par le biais d’institutions ou d’établissements pour interdire le changement. Pour ce qui est de décourager la consommation de drogues illégales, le contrôle social est à la fois formel (p. ex., les sanctions pénales) et informel (p. ex., l’humiliation). De même, des contrôles à caractère positif existent pour récompenser les personnes qui ne consomment pas de drogues ou qui réduisent ou cessent leur consommation. Il s’agit notamment de mécanismes tels que l’assouplissement de sanctions pénales après des périodes d’abstinence, l’autorisation de reprendre le travail après un résultat négatif à un dépistage de drogues et les félicitations des ami-es et de la famille pour s’être « rétabli » ou « être devenu sobre ». Le contrôle social est partout, et il est important de reconnaître qu’il profite principalement aux personnes dont le pouvoir sociétal exige une conformité généralisée.

Un mécanisme crucial de contrôle social qui touche la consommation de drogues est la médecine. Les origines du contrôle social médical remontent au XVIIIe siècle, époque à laquelle l’Occident a connu une série de crises économiques. Les villes étaient de plus en plus préoccupées par la productivité sous le capitalisme; la « normalité » et la « moralité » se définissaient presque exclusivement par la capacité d’une personne à générer un surplus de richesse pour les grands producteurs. Simultanément, la science a remplacé la religion comme institution dominante de la régulation sociale. Avec l’introduction de la laïcité et de la démocratie, l’État avait besoin de nouveaux moyens pour réglementer ses citoyen-nes. Il l’a fait par le biais de la « science » de la psychiatrie, qui n’existait pas auparavant. En qualifiant les chômeur(-euse)s de « malades mentaux » ou de « malades », il justifiait leur enfermement dans des établissements de travail forcé, dont l’héritage se fait sentir encore aujourd’hui.22 Bien que les « patient-es » ne soient plus obligé-es de travailler pendant un enfermement, l’idée selon laquelle l’incapacité à le faire indique une « maladie du cerveau » ou un « trouble mental » est la prémisse de nombreux soins psychiatriques et liés à la dépendance.

Dans la pratique, le contrôle social médical formel concernant la consommation de drogues se manifeste par : l’hospitalisation non volontaire; l’obligation de fournir des documents médicaux détaillés pour avoir accès à un approvisionnement sûr ou à une thérapie de substitution; des stratégies policières qui « détournent » les personnes prises en flagrant délit de consommation de drogues vers des tribunaux de traitement de la toxicomanie; et des tests d’urine obligatoires comme condition pour conserver un logement et un emploi. Le contrôle social informel de la consommation de drogues se manifeste dans le fait que des médecins et des professionnel-les de la santé affirment que les troubles liés à la consommation de drogues sont de la propre faute de la personne touchée; dans l’encouragement aux personnes à se considérer comme « malades » lorsqu’elles consomment des drogues, en particulier dans les programmes en douze étapes qui encouragent une autosurveillance quasi religieuse; dans le fait que des étranger(-ère)s qualifient de « junkies » ou de « toxicomanes » les personnes qui consomment des drogues; ainsi que dans le mythe répandu selon lequel des médicaments prescrits par un médecin, comme ceux qui sont donnés aux personnes atteintes de TDAH ou d’autres troubles, soient plus respectables que les drogues vendues dans la rue, même lorsqu’ils ont des effets semblables.5

https://www.youtube.com/watch?v=ha4yeOF6XNQ

Stigmatisation

La description la plus courante de la stigmatisation est celle du sociologue Erving Goffman, qui l’a définie comme un « attribut jetant un profond discrédit » et ayant pour effet d’« entacher » l’identité d’une personne par rapport au groupe dominant. Il a catégorisé trois types de stigmates : ceux liés à « l’abomination du corps » (p. ex., un handicap physique); ceux qui suscitent des réactions « tribales » (p. ex., la race, la religion); et ceux qui découlent de « traits de caractère » (p. ex., la consommation de drogues, la maladie mentale, le statut VIH).24 Publiée en 1963, la théorie de Goffman n’est plus d’actualité mais conserve son influence. Par exemple, le Gouvernement du Canada définit la stigmatisation comme des « attitudes, croyances ou comportements négatifs à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur situation personnelle ». Ceci ne présente qu’un portrait limité des causes et des mécanismes en jeu dans l’émergence de la stigmatisation, des personnes qui en tirent profit et des différents facteurs qui contribuent à son maintien.

Notamment, la stigmatisation n’est pas stable. La stigmatisation d’une certaine caractéristique est constamment négociée et renégociée, et évolue avec le temps.25 Il suffit de penser à l’homosexualité, qui était autrefois criminalisée et qui a ensuite été citée comme un trouble mental dans des textes psychiatriques. Bien que l’identité queer soit encore considérée comme « anormale » dans certains contextes, les réactions générales à son égard ont considérablement évolué, parallèlement à la législation, aux politiques et aux tendances médicales évolutives. Il en va de même pour la consommation de drogues. Avant la mise en œuvre des lois antidrogue, et bien avant que les « troubles liés à la consommation de substances » ne constituent un diagnostic officiel, la consommation de drogues était considérée comme neutre. Elle a été stigmatisée dans l’escalade de la « guerre aux drogues », tout comme les inégalités raciales, ethniques, religieuses et de classe. Il est important de se rappeler que les changements dans la perception du public sont le fruit de l’activisme de la base et de la désobéissance civile, tant en matière de sexualité que de consommation de drogues.

Par ailleurs, la stigmatisation n’est pas seulement interpersonnelle. Elle est plus profonde que les attitudes et comportements individuels, et devient institutionnalisée et systémique lorsque des politiques officielles (en matière de logement, d’emploi, d’éducation, de protection de l’enfance, etc.) interdisent l’accès sur la base de l’identification à une classe particulière. Par exemple, la participation obligatoire à des réunions en douze étapes comme condition pour éviter la réincarcération reflète ce dernier type de stigmatisation. Il en va de même des exigences imposées aux professionnel-les de la santé qui ont suivi un traitement de la toxicomanie et qui doivent se soumettre régulièrement à des tests de dépistage de drogues pour conserver leur emploi.

Enfin, la stigmatisation devient intériorisée. Les recherches sur ce phénomène ont conclu à maintes reprises que le fait de se considérer comme « mauvais-e », « fou/folle » et/ou « malade », ce qui est le résultat de la stigmatisation institutionnalisée et systémique, entraîne des résultats négatifs.26 En anticipant le rejet, il arrive que des personnes stigmatisées modifient leur comportement en fonction de ces attentes, ce qui a pour effet que leurs conditions matérielles se détérioreront. Cela est particulièrement vrai pour les personnes qui sont stigmatisées à de nombreux égards, ce qui indique que la consommation de drogues à elle seule n’est pas une condition suffisante pour être stigmatisé. Les personnes qui consomment des drogues mais qui ont par ailleurs un logement stable et un emploi et qui appartiennent aux groupes raciaux et culturels dominants peuvent consommer en quasi-impunité. Par conséquent, des campagnes de lutte contre la stigmatisation axées uniquement sur la consommation de drogues pourraient ne pas être efficaces, car il ne s’agit que d’une facette de l’identité individuelle.

Trouble lié à la consommation de substance(s) (TCS)

Une catégorie de troubles qui reflète l’étiquette médicale de la dépendance. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, cinquième édition (DSM-5), texte officiel sur lequel se fondent les diagnostics en Amérique du Nord, identifie 11 critères relatifs aux TCS, dont « l’usage dans des situations dangereuses » (utiliser une substance d’une manière dangereuse pour soi-même et/ou pour les autres), « des problèmes interpersonnels ou sociaux » liés à la consommation, et le fait de « passer beaucoup de temps à obtenir la substance, à l’utiliser ou à récupérer de ses effets ». Pour qu’une personne soit diagnostiquée d’un TCS, elle doit présenter au moins deux de ces symptômes sur une période de douze mois. Cette catégorie de diagnostics repose sur la supposition selon laquelle la consommation de drogues se fait « contre son gré », de manière aberrante, chaotique et compulsive.

La profession médicale considère le TCS comme une maladie cérébrale ou un trouble mental incurable, ce qui a des conséquences pour les personnes qui consomment des substances. Nous l’avons mentionné, des recherches sur la stigmatisation indiquent que l’étiquette de « maladie mentale » suscite la méfiance de la part de professionnel-les et au sein du public. Les personnes ayant un « TCS » sont perçues comme étant moins susceptibles de conserver un emploi ou d’être financièrement responsables, même si ces préjugés sont inconscients, voire intériorisés.26 En contrepartie, la notion de TCS en tant que maladie peut susciter la sympathie d’autrui; elle est préférable à la criminalisation; et sa présence au dossier médical peut être nécessaire pour accéder à un approvisionnement sûr et à d’autres soins de santé.

Bref, il n’existe pas de définition commune des TCS. Des chercheur(-euse)s critiques, des personnes qui consomment des drogues et des militant-es pour leurs droits soulignent que plusieurs critères du TCS sont spécifiques à l’environnement. Par exemple, le fait qu’une personne ait ou non des « problèmes sociaux ou interpersonnels » liés à la consommation dépendra des normes de son réseau de pair-es, de sa situation de logement, de ses antécédents de condamnation pour consommation de drogues, de son obligation de se soumettre à des dépistages de drogues pour conserver un emploi et de la fréquence à laquelle elle consomme des drogues en public. De même, le temps qu’elle consacre à l’acquisition de drogue(s) dépend de sa situation financière et de son milieu de consommation. Enfin, lorsque deux personnes présentent un comportement identique, il est possible qu’une seule soit mise au courant de son TCS et que l’autre puisse se retrouver en prison sur la base de sa race et de sa classe sociale. Aux fins du présent document, l’expression « trouble lié à la consommation de substance(s) » sera utilisée pour désigner un diagnostic médical officiel.

Guerre aux drogues

De manière générale, la guerre aux drogues consiste en une série de politiques, de pratiques et de lois introduites au cours du 20e siècle afin de criminaliser la consommation de drogues et les activités qui s’y associent. Il est à présent bien établi que la soi-disant guerre aux drogues est une guerre par ricochet qui a pour véritables « ennemis » les communautés racisées, immigrantes et pauvres. Depuis 110 années, les lois antidrogue ont été une tactique efficace pour empêcher l’avancement économique, politique et social des personnes dont le mode de vie diffère de celui que l’État colonisateur juge idéal.

Au Canada, la guerre aux drogues coïncide officiellement avec les émeutes anti-asiatiques. Les tensions étaient déjà vives entre les Chinois, établis sur la côte ouest depuis la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique (CP), et les colons blancs qui se sentaient menacés en raison d’un manque perçu d’occasions d’emploi et de leurs préjugés racistes à l’égard des immigrants non blancs et non chrétiens. Le 7 septembre 1907, animées par une crainte de « déclin moral » dû au « mélange racial », 9 000 personnes, dont des dirigeants politiques et syndicaux, ont manifesté devant l’hôtel de ville de Vancouver pour s’opposer à l’immigration. Certaines ont vandalisé et détruit des entreprises chinoises et japonaises. Plutôt que de se concentrer sur les réparations, le sous-ministre du Travail Mackenzie King, dépêché d’Ottawa pour enquêter, a conclu que l’opium que les Chinois utilisaient à des fins festives et économiques devrait être interdit. Il a déclaré :

« Les Chinois avec qui j’ai conversé sur le sujet m’ont assuré que l’on vendait presque autant d’opium aux blancs qu’aux Chinois, et que la consommation d’opium se répandait non seulement chez les hommes et les garçons blancs mais aussi chez les femmes et les jeunes filles. Ne pas se préoccuper de la croissance d’un tel mal au Canada serait contraire aux principes de moralité qui devraient guider les actions d’une nation chrétienne ».27

L’usage récréatif d’autres drogues a été interdit dans les années qui ont suivi, et lorsque le président étatsunien Richard Nixon a officiellement déclaré la « guerre aux drogues » en 1971, la propagande antidrogue s’était consolidée dans l’imaginaire collectif. Au cours des années 70, les peines pour possession et distribution de drogues ont connu une intensification, tout comme les disparités raciales dans les arrestations, les condamnations pénales pour possession et la sévérité des peines. La guerre aux drogues a toujours été motivée par des valeurs et objectifs économiques blancs et chrétiens, à un point tel qu’un collaborateur de Nixon a éventuellement admis :

« Vous cherchez le fond de l’histoire. La campagne de Nixon en 1968 et son administration par la suite avaient deux ennemis : la gauche antiguerre et les Noirs. Vous comprenez ce que je veux dire. Nous savions que nous ne pouvions pas rendre illégal le fait d’être contre la guerre ou d’être noir, mais en amenant le public à associer les hippies à la marijuana et les noirs à l’héroïne, puis en criminalisant fortement les deux, nous pouvions perturber ces communautés. Nous pouvions arrêter leurs leaders, perquisitionner leurs demeures, interrompre leurs réunions et les vilipender sans relâche aux nouvelles du soir. Étions-nous conscients de nos mensonges à propos des drogues? Bien sûr que oui. »28

Depuis, en dépit–ou en raison–de ses motivations basées sur la race et sur la classe sociale, la guerre aux drogues se poursuit. Son influence s’observe non seulement dans le système de justice pénale, mais également dans l’éducation, l’emploi, le logement, les médias, la médecine et les familles. Ses impacts sont dévastateurs. La guerre aux drogues a déstabilisé des nations entières, coûté des billions de dollars en répression, emporté d’innombrables vies, alimenté le crime organisé – et pourtant, le commerce illégal de drogues demeure l’activité illicite la plus lucrative au monde.15 Il n’est pas rare d’entendre que « les drogues ont remporté la guerre aux drogues ». Et les grands perdants de cette guerre, ceux qui en font les frais, sont les individus les plus marginalisés de la société.


Sources citées

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