Quel est l’impact de l’ALÉNA sur les politiques sur les drogues?

Qu’est-ce que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) a à voir avec les politiques sur les drogues? À première vue, ces deux sujets ne semblent pas reliés. Mais tandis que la Caravane pour la paix poursuit sa route dans le Sud des États-Unis, nous, au Canada, avons la chance de nous arrêter et de réfléchir à la manière dont nos politiques peuvent vraiment aggraver les effets de la guerre aux drogues sur la frontière mexico-américaine.

Les accords de libre-échange comme l’ALENA sont vantés comme étant la clé d’une croissance dynamique dans des pays comme le Mexique et le Canada. Mais un mémoire politique duCarnegie Endowment for International Peace suggère que les accords entre partenaires commerciaux n’atteignent pas toujours des buts aussi nobles, ni ne remplacent des approches plus polyvalentes du développement.

En fait, les réformes du Mexique appuyées par l’ALENA ont été au mieux décevantes. Au pire, ces « réformes » ont contribué à faire du Mexique l’endroit idéal pour la production et le trafic de drogues. Même si les échanges commerciaux se sont certainement accrus, la croissance économique a été lente et la création d’emplois, médiocre. Les gains d’emplois limités dans la fabrication et les services ont été annulés par de nombreuses pertes d’emploi en agriculture. Les augmentations de salaire nécessaires, surtout pour les travailleurs non qualifiés, ne se sont pas concrétisées. Cela signifie que dans les régions rurales, les agriculteurs et les pauvres ont été les moins susceptibles de récolter les avantages des politiques commerciales libéralisées. La pauvreté rurale se chiffre à 55 % globalement et 25 % vivent dans une pauvreté extrême. Et le Mexique demeure l’un des pays de l’hémisphère le plus inégal.

Alors, nous demandons-nous, que signifie cet appauvrissement continu du secteur agricole et des petits exploitants agricoles pour les politiques de contrôle des drogues? Les petits exploitants agricoles font face à d’incroyables difficultés et vivent dans des conditions de pauvreté, d’exclusion sociale et de négligence du gouvernement. Ces conditions influent sur leur décision de s’impliquer dans le commerce des drogues illicites. En outre, le manque d’autres possibilités économiques, notamment des salaires décents et des emplois de bonne qualité, pousse les gens pauvres vers le commerce comme petits revendeurs ou passeurs de drogue.

Je ne suggère pas que l’ALENA soit tenu entièrement responsable de la situation actuelle à la frontière mexico-américaine où la violence est couverte à profusion dans les médias. Dans une certaine mesure, cette violence a été précipitée par des activités policières accrues liées aux drogues. Le président mexicain, Felipe Calderón, a déclaré une « guerre aux drogues » dès son entrée en fonction, en décembre 2006. Depuis, il y a eu une recrudescence sans précédent de la criminalité et de la violence dans le pays, plus de 47 000 personnes ayant été tuées violemment dans les 5 dernières années. En 2008, par exemple, la moitié des homicides au Mexique était directement liée au commerce des drogues. Bien que cela puisse sembler contrintuitif pour certains, une revue systématique de la recherche traitant des effets de la répression liée aux drogues sur la violence du marché des drogues a observé que la répression accrue liée aux drogues était associée aux niveaux croissants de la violence du marché des drogues. Bien que la violence soit souvent attribuée aux conflits entre cartels, la police et les militaires ont joué au moins en partie un rôle dans la perpétration de cette violence[1]. En même temps, le financement américain, par l’intermédiaire de l’initiative de Merida, a augmenté l’équipement et la formation fournis aux forces de police du Mexique, et le Mexique a été blâmé pour ses violations des droits de la personne[2].

Des observateurs comme ceux du Washington Office on Latin America ont aussi fait remarquer que la guerre aux drogues menée par les États-Unis n’a pas réussi à supprimer la production ou le trafic des drogues illicites, alors que des lois sévères sur les drogues ont conduit à des violations des droits de la personne, à des prisons surpeuplées et à des menaces à l’égard des institutions démocratiques. Des milliers de Mexicains ont été tués, sont disparus ou ont été déplacés par suite de la guerre aux drogues. Mais les tentatives de soumettre ces politiques de contrôle des drogues à un examen minutieux sont entravées par des allégations selon lesquelles le marché de la drogue menace la sécurité nationale américaine et les relations commerciales.

Le récent Sommet des régions, à Cartagena, a révélé la mesure dans laquelle l’Amérique latine est une puissance mondiale croissante. Plusieurs dirigeants de pays d’Amérique centrale et du Sud ont contesté les politiques économiques et de sécurité des É.-U. Et des groupes comme laLatin American Commission on Drugs and Democracy contestent les politiques prohibitionnistes dominées par les É.-U. Les rapports de la Commission réclament que les É.-U. et le Canada examinent leur complicité dans le marché de la drogue à titre de principaux pays consommateurs de drogues.

Le Canada a reconnu que les Amériques sont d’importants partenaires dans les relations hémisphériques. Nous avons désigné l’Amérique latine comme étant une priorité de la politique étrangère, en 2007. Mais jusqu’ici, les mesures que nous avons prises ont été étroitement axées sur les échanges commerciaux et la sécurisation de la région. La sécurisation, notamment le maintien de l’ordre accru, la surveillance des frontières, la militarisation de la société civile, et la suppression de la dissidence est au cœur des stratégies de la guerre aux drogues.

Une brève visite au site Web des Affaires étrangères et Commerce international Canada offrira aux lecteurs des liens à des communiqués de presse au sujet de l’aide du Canada à l’Amérique latine pour soutenir les mesures de sécurité. Le Canada, par ses programmes d’aide, est partenaire à part entière des programmes prohibitionnistes mondiaux de contrôle des drogues. Encore une fois, je ne suggère pas que nous abandonnions les efforts pour assurer la sécurité publique, mais je m’inquiète de ce que le Canada ait choisi de restreindre son champ d’action à la sécurité et aux accords de libre-échange, aux dépens d’approches plus polyvalentes et socialement justes qui favorisent le développement et l’inclusion sociale. Je ne suis pas le seul. Le Groupe d’orientation politique pour les Amériques du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI) a soulevé certaines de ces préoccupations.

Le CCCI invite les décideurs canadiens à réaligner leurs priorités politiques, pour des pays comme le Mexique, sur une stratégie axée sur les droits de la personne, la participation généralisée à la prise de décisions et le développement. Les approches canadiennes de l’aide et du commerce doivent aborder, et non exacerber, les causes profondes des problèmes de drogue et de criminalité des Amériques, et reconnaître que les approches militaristes nuisent à la sécurité publique.

Alors, la prochaine fois que vous entendrez quelqu’un vanter les avantages du libre-échange, demandez-vous si ces politiques vont soutenir les institutions démocratiques, les stratégies de développement socialement justes et les politiques sur les drogues fondées sur les données probantes et les droits.

 


[1] Voir U.S. State Department. 2011. Human Rights Reports: Mexico. À l’adresse :http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/2011/wha/186528.htm.
[2] Seekle, C. et Finklea, K. M. (2011). U.S.-Mexican Security Cooperation: The Mérida Initiative and Beyond. U.S. Department of State: U.S. Congressional Research Service. À l’adresse :http://fpc.state.gov/documents/organization/171385.pdf.

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