Penser en dehors de la boîte à Mexico

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« Dans chaque chose il y a une fissure qui laisse pénétrer la lumière. »

Leonard Cohen

C’est ainsi que j’ai entamé ma présentation à l’extraordinaire congrès sur la réforme des politiques sur les drogues de Mexico, organisé par Mexico Unido Contra la Delincuencia (MUCD, le Mexique uni contre le crime), du 12 au 14 février 2012. J’ai fait jouer une chanson du poète canadien le plus connu, Leonard Cohen, dont les paroles disaient entre autres : « Dans chaque chose il y a une fissure qui laisse pénétrer la lumière. » Le Mexique a certainement besoin de lumière. Le long tunnel obscur qu’est leur présente guerre contre les cartels de la drogue continue de semer la mort et le désespoir dans l’actualité de chaque jour.

Gillian Maxwell, membre du comité exécutif de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues (CCPD) et moi-même avons assisté ensemble à cet important dialogue de politiques sur les drogues à Mexico. Le congrès a réuni certains des grands penseurs mondiaux de la réforme des politiques sur les drogues, des ONG du Mexique, des érudits des universités mexicaines et des membres du milieu des affaires de Monterrey à Mexico.

Les organisateurs étaient déterminés à « sortir des sentiers battus » et à chercher des solutions de rechange à la guerre aux drogues que livre leur gouvernement aux cartels et qui tue littéralement des milliers de personnes dans leur pays.

Il y a eu plus de 53 000 morts depuis 2006, et certains avancent un chiffre plus près de 60 000.

Tenu dans le magnifique Museo Nacional de Antropología,le congrès avait un aspect historique. Entouré de milliers d’années d’histoire du Mexique, le problème insoluble avec lequel le pays est aux prises a été mis en perspective par des siècles d’histoire, d’énergie et d’artéfacts du Musée. On peut sentir la frustration provoquée par la violence continue de la guerre aux drogues. Mais le Mexique est à un point où tout peut basculer. Le pays peut être prêt à sortir de sa voie historique et à adopter un rôle de leadership majeur dans l’ouverture d’une nouvelle avancée avec ses alliés d’Amérique latine.

Les personnes présentes au congrès ont entendu de nombreuses raisons de prendre une nouvelle direction et d’envisager des approches de rechange des politiques sur les drogues au Mexique. Ethan Nadelmann, directeur général de la Drug Policy Alliance des É.-U., a prié les participants mexicains de faire tout ce qu’ils peuvent pour le Mexique et de ne pas attendre que les États-Unis changent leur direction. Il a mentionné la position de leadership historique qu’occupe le Mexique dans la région et la possibilité d’entraîner d’autres pays d’Amérique latine qui remettent en question l’idéologie prépondérante de la guerre aux drogues. D’autres conférenciers américains lui ont fait écho, notamment Jack Cole de Law Enforcement Against Prohibition et l’ancien juge James Gray de Californie.

À titre de citoyen d’un État frontalier des É.-U., j’ai été forcé d’admettre que les Canadiens ont souvent la même discussion – comment pouvons-nous changer nos politiques sur les drogues indépendamment des Américains? Mais en fait, c’est notre bon sens qui a éclairé la voie afin que les États-Unis abandonnent la prohibition de l’alcool dans les années 1930. Et je crois que nous pouvons faire de même en concevant une stratégie d’abandon de la guerre aux drogues.

Le Mexique occupe une position morale des plus fortes pour exiger une fin à la guerre aux drogues.

Il y a un mouvement qui se dessine. Deux semaines avant le congrès de Mexico, le président guatémaltèque, Otto Perez Molina, a demandé à tous les leaders d’Amérique centrale de se pencher sur la décriminalisation des drogues lors d’une prochaine rencontre régionale. Cesar Gaviria, ancien président de la Colombie, a ensuite fait une présentation au congrès et clairement demandé la légalisation des drogues comme nouveau moyen de progresser dans la région.

#forodrogas
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Steve Rolles, de la Transform Drug Policy Foundation a présenté un article sur la stratégie primée de sa fondation, A Blueprint for Regulation, qui est un des arguments les mieux pensés en faveur d’un passage à un régime réglementé légalement pour toutes les drogues psychoactives.

Nuno Capaz, sociologue à l’Instituto da Droga e da Toxicodepencia du Portugal a expliqué comment le Portugal a décidé de décriminaliser toute possession personnelle de toutes les drogues il y a quelque 10 ans, et comment cela s’est avéré un succès pour ce qui est de la prévention de surdoses, de la prévention du VIH et de l’accès au traitement. En outre, l’usage même de drogues n’a pas augmenté et dans bien des tranches démographiques, il a en fait diminué.

Le deuxième matin du congrès, Javier Sicilia est entré dans la salle et a été gracieusement accueilli par les organisateurs du congrès. Sicilia, un poète et journaliste qui a perdu son fils dans la violence de la guerre aux drogues dirige un mouvement pour la paix et la dignité au Mexique. Il organise des marches dans les rues et demande à la population mexicaine de se joindre à lui pour protester contre la violence qui est la réalité quotidienne au Mexique aujourd’hui.

Sicilia assistait au congrès pour apprendre comment les politiques sur les drogues pouvaient répondre à ses questions. Nous nous sommes rencontrés et avons échangé une accolade, et avons tenté de converser par des bribes de la langue de l’un et l’autre et bien des gestes, et avons convenu de nous rencontrer de nouveau pour travailler à un plan de paix. Très sympa!

Il y avait nombre d’autres conférenciers des Pays-Bas, de l’Australie, des États-Unis, et l’infatigable sénateur Larry Campbell du Canada. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime a également fait une présentation incroyablement stéréotypée et banale, qu’on ne pourrait qu’intituler « propagande pour le maintien du statu quo » et qui défendait en réalité les initiatives de la guerre aux drogues et de ses dommages collatéraux de 50 000 morts et plus.

Au terme des trois jours passés au musée de l’anthropologie, les directeurs de MUCD nous ont livré les conclusions du congrès selon leur perspective. Elles coupaient vraiment radicalement avec le statu quo.

Parmi les huit points principaux, ils ont demandé que le Mexique adopte une approche de santé publique pour les drogues, et ont affirmé que les pays doivent être autorisés à se prévaloir d’une approche souveraine pour régler les problèmes de drogues, dans le meilleur intérêt de leurs citoyens. Ils ont également demandé que le Mexique passe graduellement à un modèle de réglementation et de contrôle des drogues présentement illicites. Vous connaissez? Les Canadiens et les Américains ont la même discussion.

Le mouvement en vue du changement s’accroît. Si des pays comme le Mexique peuvent commencer à mettre en œuvre leur propre plan maison, alors assurément les Canadiens peuvent trouver un moyen de sortir de la guerre aux drogues. Comme dans le cas de la prohibition de l’alcool, peut-être que les États-Unis ont encore besoin de l’ingénuité et du leadership du Canada pour leur montrer la voie. Soyons donc ces leaders.

About Donald MacPherson

Donald MacPherson is the Executive Director of the Canadian Drug Policy Coalition and one of Canada’s leading figures in drug policy. In 2000 he published Vancouver’s groundbreaking Four Pillars Drug Strategy that precipitated a broad public discussion on issues related to addiction.