J’ai très vite compris que le Grand Nord blanc et son antipode ont beaucoup en commun : nous sommes tous deux des démocraties parlementaires; nous sommes tous deux avides de noyer les frites dans la sauce (même si les Australien-nes les appellent « chips » et n’ajoutent pas de fromage); et bien sûr, nous avons tous deux un système universel de soins de santé.
Chacun de nos pays est fier, à juste titre, de son système de santé. Australien-nes et Canadien-nes, en étant témoins du débat qui fait rage actuellement aux États-Unis sur l’universalité des soins de santé, peuvent se dire : « Oh, comme c’est primitif, nous avons fait ça il y a longtemps. » Pourtant, malgré nos systèmes fantastiques, tant au Canada qu’en Australie, les patients ont encore du mal à accéder à un médicament antidouleur qui est vital, entièrement naturel et qui s’est révélé avoir toute une gamme d’autres avantages pour la santé, notamment en aidant des enfants atteints d’épilepsie à réduire leur risque de crise (Thomas & Cunningham, 2019). Je parle bien sûr du cannabis.
Au Canada, la marijuana médicinale n’est pas un médicament remboursé par les assurances gouvernementales. Par conséquent, les coûts sont prohibitifs. En 2019, au Canada, le coût de la marijuana médicinale était en moyenne 75 % plus élevé par gramme que celui de la marijuana non médicinale. Cela peut sembler peu, mais lorsque l’on achète en quantité plus importante, pour remplir une ordonnance, ces coûts s’additionnent. La marijuana médicinale n’est pas assurée en Australie non plus; une cure de six à huit semaines de marijuana médicinale peut coûter plus de 750 dollars australiens (662 dollars canadiens). Cela peut entraîner une augmentation rapide des coûts des soins de santé; en Australie, le coût du traitement d’un enfant épileptique au moyen d’une dose standard de marijuana médicinale est de 60 000 dollars australiens (52 573 dollars canadiens) par année. Comme ces coûts ne sont pas couverts par l’assurance, il s’agit d’une facture médicale écrasante pour de nombreuses familles.
Au Canada, certains changements ont été apportés pour répondre à cette situation. Des organismes comme CanniMed accordent un tarif de compassion pour le coût de la marijuana médicinale aux personnes qui touchent des prestations d’invalidité ou de chômage; et Anciens Combattants Canada couvre également ses membres inscrit-es pour l’utilisation de marijuana médicinale. Malheureusement, ce ne sont que deux exceptions. Un grand nombre de Canadien-nes à faible revenu qui ont besoin de marijuana médicinale demeurent incapables de surmonter les coûts prohibitifs. En Australie, les gouvernements de certains États ont cherché à contrer les charges financières par des programmes d’accès compassionnel, comme le cadre mis en place dans l’État de Victoria en vertu de la loi de 2016 sur l’accès à la marijuana médicinale. Ce programme subventionne le coût de la marijuana, mais uniquement pour des enfants épileptiques et seulement si les autres traitements ont échoué. Bien qu’il s’agisse d’une protection importante pour des enfants vulnérables, le régime est actuellement plafonné à 90 participant-es, ce qui en limite également la portée.
De même, l’Australie et le Canada sont tous deux confrontés à des problèmes régionaux, car la marijuana médicinale est beaucoup plus accessible dans les villes que dans les zones rurales. Dans ces deux pays, des rapports troublants font état de personnes qui doivent faire des heures de route, à partir de leur région, afin de faire exécuter des ordonnances, soit en raison d’un manque de cliniques, soit (comme cela s’est produit au Manitoba en mars 2018) à cause de l’épuisement des stocks dans les cliniques.
Bien sûr, le vent tourne au Canada. La marijuana étant légalisée pour un usage récréatif, les médecins hésitent de moins en moins à la prescrire. À mesure que la normalisation de l’utilisation de marijuana se poursuit, les compagnies d’assurance et les organismes gouvernementaux se rapprochent de la couverture de la marijuana médicinale. La culture légale de la plante de cannabis contribue également à combler le fossé pour les communautés rurales qui, autrement, pourraient avoir du mal à accéder à de la marijuana médicinale.
Parallèlement, l’illégalité de la marijuana en Australie crée des obstacles supplémentaires à l’atteinte de résultats de santé, ce qui met en danger les personnes marginalisées qui ont besoin de ce médicament. Alors que les personnes riches peuvent surmonter les coûts prohibitifs de l’accès au soulagement de la douleur, les familles à faible revenu sont obligées de choisir entre une douleur atroce et le risque d’arrestation. Ceci est un autre rappel brutal du fait que notre approche aux drogues est dépassée et a de réels effets négatifs qui touchent de manière disproportionnée des groupes défavorisés.
Le régime prohibitif de l’Australie est au moins sensé d’un point de vue logique : nous sommes encore à nous habituer à ce que la marijuana soit utilisée à des fins récréatives, ce qui entraîne une hésitation quant à son utilisation médicale. Malgré la lente décriminalisation de l’usage récréatif de la marijuana dans certains États et territoires, il reste encore beaucoup à faire avant d’arriver à une réglementation légale à grande échelle. Mais il est triste de constater qu’au Canada, alors qu’il est aussi facile d’acheter de la marijuana en boutique que de l’alcool, des fournisseurs d’assurance maladie et le gouvernement tardent encore à reconnaître les bienfaits médicaux de cette substance.
Les Australien-nes et les Canadien-nes ont le droit d’être fiers et fières de leurs systèmes de soins de santé. Mais n’oublions pas qu’en ce qui concerne la marijuana médicinale, nous avons encore un long chemin à parcourir. Si les deux pays ne prennent pas de mesures plus importantes pour en améliorer l’accessibilité, nos prétentions de supériorité ne seront guère plus que de la poudre aux yeux.
Thomas, Rhys H & Cunningham, Mark O (2019). Cannabis and epilepsy. Practical Neurology, 10, 465-471.