Témoin après témoin nous ont parlé des failles importantes du projet de loi C-10, tout particulièrement les témoins dotés d’expertises quelconques. Mais la réplique venant de la majorité des sénateurs conservateurs demeure toujours la même : « Vous dites que le projet de loi aura la conséquence X, mais c’est contraire à ce que les ministres Toews et Nicholson nous ont présenté comme étant l’intention du projet de loi ».
Le décalage profond entre l’intention de la loi, telle que présentée par les ministres, et la lettre de la loi, c’est-à-dire ce que dit concrètement ce projet de loi, à savoir son libellé précis sur lequel tout juge au pays devra dorénavant baser ses décisions, n’a été rendu plus claire que lors des audiences de cet après-midi.
On traitait de la partie 4 du projet, qui apportera des bouleversements majeurs à la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA). Mary-Ellen Turpel-Lafond, présidente duConseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, soulignait à quel point le principe de non divulgation des renseignements relatifs à l’identité des adolescents, sauf pour cas extrêmes, constitue la pierre angulaire du système de justice pénal pour adolescents. Avec l’adoption du C-10, estime-elle, on permettrait dorénavant la publication de l’identité de bien plus d’adolescents, c’est-à-dire dans tout cas où il y a « infraction avec violence ».
Marie-Pierre Blouin, une avocate dans la Section jeunesse de l’Aide juridique de Longueil, précisait alors que lorsqu’on parle de « violence » dans le système pénal pour adolescents, « il peut s’agir, par exemple, d’un délit armé avec une balle de neige ou bien d’une engueulade à coups de points dans la court d’école ». La publication des renseignements des délinquants dans de tels cas pourrait donc profondément nuire à la réinsertion d’un beaucoup plus grand nombre d’adolescents, « parce que ces informations restent publiques et sont accessibles à vie, surtout dans l’ère internet », ajoutait-t-elle.
« L’intention du projet de loi, c’est de cibler les jeunes qui commettent des crimes violents à répétition. Il ne faut donc pas l’interpréter dans son sens plus général », disait en réplique le sénateur Wallace, président du comité. Le sénateur Lang, pour sa part, se déclarait du même avis que son collègue : « l’on pourrait débattre des nuances ou des détails du projet de loi, mais ce qui importe c’est l’esprit de la loi ».
Pourtant, l’objectif des comités parlementaires, en particulier ceux du Sénat, c’est justement d’examiner en détail les projets de loi qui leur sont envoyés.
Mais avec une seule journée d’étude accordée à la partie 4 du projet de loi, qui selon de nombreux témoins, bouleversa au complet le système de justice pénale pour adolescents, cet examen en détail est fort douteux.
C’est peut-être comme le disait aujourd’huiBarry Stuart, ancien juge en chef du Yukon et pionnier en matière de justice réparatrice au Canada, le sénat « passe probablement plus de temps à examiner les différentes preuves quant à quelles avions militaires il faudrait acheter qu’à entendre les preuves sur ce qui est mieux pour nos jeunes ».