Le C-10 ne fera rien pour traiter les graves pénuries de soins de santé mentale dans nos prisons

Howard Sapers, du Bureau de l’enquêteur correctionnel Canada, expliquait au comité sénatorial aujourd’hui que le système correctionnel fédéral fait face à de graves pénuries d’espaces et de ressources, surtout en matière de programmation pour délinquants.Sapers donnait en exemple le cas du pénitencier de Cowansville, un cas très typique selon lui. Sur les 466 détenus qui s’y retrouvent à présent, 42 participent à des programmes, tandis que 180 noms figurent sur des listes d’attentes. « Il faut comprendre que les détenus passent de plus en plus de temps dans leurs cellules, sans aucune programmation, » disait-il.

Et il s’agissait là de chiffres pour tous types de programmes. En matière de programmes relatifs aux troubles mentaux, ces chiffres sont encore plus sérieux.

Ce qu’il faut comprendre, soulignait Sapers, c’est que « les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains des délinquants sont des patients ».

Pour ceux-ci, « leurs besoins de santé doivent être comblés avant que n’importe quel autre objectif correctionnel puisse être atteint. »

Le sénateur Cowan, lui, en saisissait pleinement les conséquences : « En ce qui a trait à la sécurité publique, il faut savoir qu’à un moment donné, ces délinquants vont se retrouver dans les collectivités et si ces personnes n’ont pas été soignées comme il se doit, ça veut dire qu’au bout du compte, ce sont les citoyens et les communautés qui vont en souffrir ».

Don Head, le commissaire du Service correctionnel du Canada, confirmait à cet égard le fait que son département éprouvait de nombreuses difficultés à recruter et à retenir les professionnels de la santé mentale. Jan Looman, directeur de programme, expliquait que chaque institution disposait d’un seul psychiatre avec 3 psychiatres supplémentaires « sous contrat ».

La plupart des services psychologiques, expliquait M. Looman, sont maintenant offerts par des agents correctionnels qui ne disposent que « d’une formation de 10 jours, avec 3 jours supplémentaires en évaluation de risque ».

Howard Sapers
Howard Sapers

Selon le sénateur Runciman, ancien ministre des Services correctionnels de l’Ontario, il faudrait développer « une approche systématique pour régler ce problème très grave », qui doit inclure, entre autre, un meilleur ratio des professionnels de la santé par rapport aux agents correctionnels.

Contrairement à M. Sapers, M. Head, lui, semblait vouloir minimiser le problème du soin des troubles mentaux dans les pénitenciers. Le sénateur Runciman, en revanche, répondait en colère : « Vous venez devant nous, mais vous nous dites toujours la même chose ». « Corrections Canada me semble souffrir d’inertie face aux problèmes de santé mentale » ajoutait-il plus tard.

Or, le projet de loi C-10 ne fera rien pour alléger le problème de gestion et du soin des troubles mentaux. Tel que mentionné dans un blogue précédent, l’imposition de peines minimales obligatoires (PMO) augmentera de façon sûre le nombre de personnes souffrant de troubles mentaux dans le système carcéral.

M. Sapers, qui ne pouvait commenter directement sur les PMO en raison de son mandat, a cependant exprimé qu’il avait bien de la difficulté à voir comment les services correctionnels pourront s’adapter aux nouvelles demandes dictées par le texte de la loi, étant donné le déjà peu de ressources dont ils disposent.

Chose certaine, c’est que le profil des délinquants évolue dans le sens des groupes les plus vulnérables au pays.

CP
CP

« Il y a de plus en plus de personnes âgées, plus de femmes, autochtones et autres minorités, plus de gens avec troubles mentaux et plus de toxicomanes » dans nos prisons, précisait M. Sapers.

Quant aux toxicomanes et à l’usage de drogues dans les pénitenciers, Sapers expliquait en quoi la dépense des ressources se fait de façon assez paradoxale. L’an dernier, on augmentait les sommes d’argent pour le dépistage, tout en diminuant les sommes accordées au traitement de la toxicomanie. « Alors quand j’ai demandé au Service correctionnel combien de détenus ont commencé à utiliser des drogues à injection lors de leur rentrée dans le système, on n’a pas pu me répondre », expliquait-il. « On a donc bien de difficultés à évaluer l’efficacité de ces programmes avec de si maigres informations. »

Voilà en somme pourquoi il nous faut une approche de santé publique intégrée au sein même d’initiatives de sécurité publique, qui se base sur des données probantes et sur un dialogue éclairée et honnête. Avec les audiences au comité se terminant demain, il est temps pour chacun d’entre nous d’encourager nos sénateurs de rejeter le projet de loi C-10 et d’exercer un leadership vers de vraies solutions à ces problèmes.

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