Au cours des trois dernières semaines, nous avons beaucoup entendu parler à quel point, selon certains sénateurs conservateurs et certaines associations de victimes, la confiance qu’a la population canadienne envers le système de justice pénale semble en péril.L’introduction de nouvelles peines minimales obligatoires (PMO) dans le cadre du projet de loi C-10 aurait donc comme objectif de remédier à ce manque de confiance.
Plus tôt ce matin, en discutant de la nécessité de mettre en place les PMO, tout particulièrement dans les cas d’agressions sexuelles, le sénateur Lang soulignait qu’il « fallait faire quelque chose afin que ces délinquants et le domaine judiciaire comprennent qu’il s’agit d’infractions graves […] Il faut leur envoyer un message clair ».
Les déclarations de cette nature sont non seulement fort troublantes en ce qu’elles présupposent que le domaine judiciaire « ignore », à l’heure actuelle, qu’il s’agit là d’infractions graves, mais elles nous laisse sous-entendre que les délinquants et les membres du domaine judiciaire sont dans le même bateau.
Toutefois, il n’est pas si surprenant d’entendre de telles allégations, étant donné que, tout au long des audiences du C-10, nombre de sénateurs conservateurs ont fréquemment répété qu’ils prenaient pour acquis le fait que les associations de barreaux et de juristes, juges et professeurs de droit et de criminologie, représentent des offenders groups (groupes à promotion de délinquants), et donc, qu’ils se situent essentiellement à l’opposé des préoccupations des groupes de victimes.
Mis à part ce fait troublant, il nous incombe de discuter de deux problèmes majeurs relevant de la perte de confiance du public et des PMO comme moyen d’y remédier.
Les canadiens et la dite popularité des peines plus sévères
En premier lieu, les priorités des Canadiens vont à l’encontre d’une tendance visant à encourager la mise en place de peines plus sévères. Tel que le soulignait aujourd’hui M. Graham Stewart, ancien directeur de la Société John Howard, selon une étude réalisée par le ministère de la Justice fédérale en 2007 intitulée « Sondage national sur la justice : lutte contre la criminalité et confiance du public », les Canadiens ne s’intéressent pas principalement aux mesures punitives. Au contraire, pour les Canadiens, l’objectif le plus important à prendre en considération, quant à la détermination de la peine, est la réadaptation, suivie de près par la réparation ou le dédommagement aux victimes.
De plus, selon le ministère, 75% des Canadiens font confiance au système de justice pénale.
En deuxième lieu, même si les Canadiens étaient véritablement partisans des PMO, les mesures populaires ne constituent ni une bonne base, ni une bonne justification quant à l’élaboration de politiques publiques. À cet effet, M. Stewart nous rappelait aujourd’hui que les pensionnats pour autochtones étaient considérés comme une initiative populaire de la part du gouvernement fédéral. « Peut-on penser à un pire crime qui aurait causé tant de torts que les pensionnats » ?
La sénatrice Frum s’est, cependant, vivement opposée à la prise d’exemple des pensionnats. « On ne peut pas dire que c’est le gouvernement qui a violé les autochtones dans les pensionnats. Il y avait, quelque part, des individus ayant fait ce choix que d’agresser […] et le C-10 cherche justement à resserrer les liens sur les individus qui font de tels choix ».
M. Stewart a très bien répondu à cette question. Il a affirmé qu’en voulant créer les pensionnats et en ayant ainsi brimé les droits de la personne des autochtones, le gouvernement fédéral avait mis en place un établissement au sein duquel il était possible de commettre de tels abus de pouvoir.
En d’autres mots, il faut comprendre que ce sont les conditions institutionnelles des pensionnats qui ont rendu les jeunes autochtones, qui y étaient assujettis, vulnérables à ces horribles abus en si grands nombres.
Nous ajouterons également qu’outre les crimes sexuels, il ne faut pas oublier que, dans le cadre des pensionnats, le gouvernement fédéral a été directement responsable d’avoir arraché trois générations d’enfants à leurs mères. Un crime insupportable en soi.
La leçon des pensionnats
Pourtant, à l’époque, les pensionnats bénéficiaient de l’appui du public canadien. Aujourd’hui, cela nous semble impensable, mais dans les faits, nous nous retrouvons toujours avec cette même réalité. À l’heure actuelle, 63% des autochtones incarcérés ont grandi dans des foyers d’accueil ou ont été donnés en adoption. Selon M. Stewart, c’est simple : « les prisons sont les nouveaux pensionnats ».
La leçon des pensionnats, disait M. Stewart, c’est que dans toute circonstance, le recours à la force dont dispose l’État doit être mis en équilibre avec le respect des droits de la personne. « Au sein de la démocratie, les citoyens ne devraient pas devenir victimes de leur gouvernement », affirmait-il.
À la surface, le souci des droits de la personne des individus incarcérés peut sembler, selon certains, comme étant une inquiétude mal placée. Mais tel que nous l’expliquaitMichael Jackson, professeur de droit et auteur d’au moins deux rapports de Commissions royales, le respect des droits de la personne dans le système carcéral constitue un élément crucial pour assurer la sécurité publique.
Considérons la chaîne de causalité suivante, telle qu’élaborée par le professeur Jackson : les prisons surpeuplées mènent à une augmentation de la violence au sein de ces institutions, ce qui entraîne une augmentation de la criminalité dans les prisons. Ce surpeuplement signifie que les agents correctionnels connaîtront moins bien les délinquants, à un niveau personnel. De pair avec l’augmentation du taux de violence, cette chaîne fait en sorte que les agents correctionnels craindront davantage les délinquants. Tous ces facteurs suggèrent que les responsables des pénitenciers utiliseront des mesures de sécurité plus sévères et que moins de délinquants seront éligibles à la libération conditionnelle. Au bout du compte, plusieurs délinquants seront libérés au terme de leur peine dans nos communautés sans la période de transition cruciale de la libération conditionnelle. Ceux-ci auront donc davantage tendance à récidiver.
Le cas des PMO aux États-Unis
Les peines minimales obligatoires prévues par le projet de loi C-10 sont une garantie de surpeuplement dans nos prisons qui, d’ailleurs, dépassent déjà leurs limites actuelles.
Suite à l’introduction des PMO aux États-Unis lors des années 1970, nous avons assisté à une augmentation du taux d’incarcération de 400%. (Avant les PMO, les chiffres étaient comparables entre le Canada et les États-Unis.) À l’époque, on ne pouvait prévoir que les PMO auraient cet effet aux États-Unis; il y avait très peu de points de comparaison possible avec d’autres pays.
Il est également important de noter que depuis l’introduction des PMO, le taux de confiance que portent les américains envers leur système de justice pénale a chuté de beaucoup. De plus, selon M. Stewart, à l’heure actuelle, cinq états, dont le Vermont et le Connecticut, déboursent davantage de fonds pour leur système carcéral que pour leur système d’éducation. Il s’agit d’une constatation absolument effroyable, tout particulièrement étant donné que l’on sait que le taux de criminalité baisse lors que le taux d’éducation s’accroît.
C-10 et contestations judiciaires
Témoins après témoins sont parus devant le Comité sénatorial dans le but de prévenir les décideurs publics que de nombreux articles du projet de loi C-10 frôlent, sinon dépassent de loin, le seuil de la constitutionnalité canadienne. De nombreuses contestations judiciaires en seront donc le résultat quasi assuré. On peut donc s’attendre à ce qu’il y ait des décisions rendues qui iraient à l’encontre de la position du gouvernement et de certains articles de cette loi.
Toutefois, tel que noté ailleurs dans le courant de cette semaine, il se peut que d’un point de vue stratégique, la véritable cible du gouvernement Harper ne soit pas les criminels, mais bien les juges.
Si plusieurs articles de cette loi sont reconnus comme étant inconstitutionnels, il y aura de quoi alimenter de nombreuses accusations à l’égard de « juges activistes », qui, pour rappeler les propos du sénateur Lang, font partie des « offenders groups ».
L’effritement du pouvoir discrétionnaire des juges auquel mènera la loi C-10, pour ne rien dire de la loi C-30, ne s’arrêtera cependant pas là. Si on adopte une optique stratégique à long terme, il n’est pas difficile de s’imaginer qu’on veuille, au bout du compte, préparer le terrain afin d’être en mesure de mener l’élection des juges au Canada; en d’autres mots, d’accroitre l’américanisation de notre système de justice, et ce, au moment où les américains constatent leur erreur et commencent à agir de façon à la corriger.