Le contexte entourant l’application des lois antidrogues dans les prisons fédérales canadiennes

Voici le premier d’une série de trois articles consacrés à l’importance d’envisager une réforme des politiques et programmes en vigueur dans les prisons canadiennes.

Au cours des dernières années, le Service Correctionnel du Canada (SCC) a intensifié ses efforts visant à empêcher l’introduction de drogues dans les prisons. Néanmoins, la priorité accordée à la détection des drogues et à l’application des lois antidrogues en milieu carcéral semble être à l’origine de plusieurs problèmes.

Pour certains, une peine d’emprisonnement constitue en effet une chance de se « désintoxiquer ».  Cependant, l’idée qu’une prison offre un endroit sûr et libre de drogues pour tous est fondée sur des hypothèses erronées au sujet de la réduction de la demande et de l’offre de stupéfiants en milieu carcéral. Dans le cadre de mes recherches, j’ai découvert qu’en dépit d’un financement considérable et de l’application accrue de lois antidrogues dans les prisons, l’objectif de non-circulation de la drogue dans les prisons est encore loin de pouvoir se réaliser au Canada.

En 2007, le SCC a mis en oeuvre son Programme de transformation qui inclut, dans le cadre de ses cinq domaines d’action prioritaire, « l’élimination des drogues en milieu carcéral ». L’année suivante, le système carcéral fédéral a bénéficié d’un investissement de120 millions de dollars échelonné sur cinq anspour intensifier sa stratégie antidrogues . Ce financement visait à améliorer les outils permettant de détecter, perturber et dissuader la consommation de drogues dans les prisons, tels que les tests de dépistage aléatoires de drogues dans l’urine, les agents de renseignement de sécurité, les chiens détecteurs de drogues et les scanneurs ioniques. Il s’agit là d’une trousse d’outils énorme et coûteuse, et nous ne disposons toujours pas de preuves certaines de son efficacité.

Les avis demeurent partagés sur l’application des lois antidrogues et leur incidence en milieu carcéral. Certains observateurs bien renseignés, tels que les anciens agents correctionnels et les employés d’organismes communautaires offrant un soutien aux prisonniers, déclarent que le renforcement des mesures d’application des lois antidrogues a non seulement échoué à empêcher l’introduction de drogues dans les prisons, mais contribue au contraire à aggraver la situation. Les problèmes liés aux mesures d’application incluent les individus qui changent le type de drogue qu’ils consomment (qui passent p. ex. du cannabis aux opiacés) pour éviter d’être repérés, une recrudescence des comportements à risque, des tensions accrues, la violence liée au commerce de la drogue et une baisse du nombre de visiteurs.

Les conséquences peuvent être immédiates ou se prolonger bien au delà de la peine d’emprisonnement. Par exemple, lorsque les prisonniers qui s’injectent des drogues partagent leurs aiguilles, ils risquent de contracter le VIH et l’hépatite C . Lorsque les familles, les amis, et les bénévoles se sentent marginalisés et accablés par des mesures de sécurité envahissantes, oulorsqu’on leur refuse l’accès en raison de renseignement potentiellement inexacts, ils visitent moins souvent, ou cessent tout simplement de visiter. Ceci affaiblit les rapports essentiels à la réinsertion fructueuse des détenus au moment de leur libération.

Ces problèmes sont souvent réinterprétés ou rejetés par le SCC. Le SCC souligne plutôt l’augmentation du nombre de saisies de drogue et le nombre réduit de tests d’urine positifs et de refus, pour indiquer que les mesures d’application de la loi fonctionnent. Les visiteurs qui tournent le dos aux portes des prisons sont présentés comme éléments probants de l’efficacité des mesures visant à dissuader les détenteurs de stupéfiants. Bref, ces questions demeurent controversées. Mais il importe de souligner que le SCC, ainsi que les autres autorités pénitentiaires, ont tendance à blâmer les détenus et les visiteurs pour tous les problèmes liés à la drogue, sans égard à l’incidence de leur politique à tolérance zéro et à son application.

Cette approche focalisée qui exclut les informations et les perspective divergentes rend difficile la tâche de réformer les approches et les pratiques courantes. Il y a quelques années, le Comité parlementaire permanent de la sécurité publique et nationale  a rassemblé un groupe varié d’intervenants et d’experts bien informés, dont des représentants du SCC, pour étudier le« problème accablant » des drogues et de l’alcool en milieu carcéral. Les témoins ont exprimé des « points de vue très divergents au sujet des politiques et des mesures prises par le SCC ». Certains ont même témoigné que l’application des lois antidrogues n’a pas réussi à éliminer les stupéfiants du milieu carcéral et contribue à compromettre la santé et la sûreté des détenus, du personnel pénitentiaire et des collectivités. En dépit de tout cela, le rapport final recommandait un investissement continu dans le renforcement des mesures d’application des lois antidrogues et s’obstinait à défendre son engagement envers « l’établissement de prisons sans drogues ». Autrement dit, il ne s’écartait pas du Programme de transformation. Les Canadiens devraient porter un regard critique sur de tels rapports et demander quels changements ont réellement été apportés.

Le SCC administre un grand nombre de détenus dans des prisons implantées d’un bout à l’autre du Canada. Bien que nous préconisions une réforme des politiques sur les drogues hors du milieu carcéral, nous ne devons pas oublier les politiques et les programmes qui affectent les consommateurs de drogues purgeant une peine de ressort fédéral (y compris le nombre disproportionné de personnes autochtones). Une évaluation complète et bien conçue des mesures d’application des lois antidrogues en milieu carcéral se fait attendre depuis beaucoup trop longtemps. Et compte tenu de la consommation continue de drogues dans les prisons canadiennes, une évaluation réaliste des programmes appropriés de réduction des méfaits, tels que l’éducation à la consommation de drogues plus sécuritaire et les programmes de distribution de seringues, devraient également être une priorité.

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